Thursday, April 26, 2012

Manifeste du frissonisme


 © Allan Riger-Brown 2011



Réunis à Bruxelles en mars 2011, les représentants des principaux mouvements de l’art contemporain, y compris, notamment, le blablaïsme et l'imitationisme[1], ont adopté par unanimité le suivant manifeste, dont les objectifs sont d’éclaircir certains principes fondamentaux de l’art contemporain, mettre de l’ordre dans ce domaine culturel parfois chaotique et instaurer un outil de réflexion et coordination entre les différents acteurs du secteur, de façon à promouvoir une activité artistique riche et diversifiée pour le bien de tous et chacun.
1.        Le but essentiel, ultime et suprême de l’art est de donner un frisson au spectateur ou spectatrice. En effet, cela arrange tout le monde :
a)      Le spectateur ou spectatrice ressent un frisson d’une certaine intensité qui lui permet de sortir pendant un laps de temps plus ou moins long de son typique état d’ennui et aliénation. Peu importe que le frisson soit provoqué par quelque chose qui ressemble à un objet d’art traditionnel ou par quelque chose d’autre – par exemple, une « performance » ou un numéro de saltimbanque. L’essentiel c’est de vaincre momentanément l’engourdissement spirituel chronique grâce à ce frisson stimulant dans lequel consiste l’expérience esthétique. Un plaisir additionnel de celle-ci réside dans le fait que le spectateur ou spectatrice a l’agréable impression de participer à quelque chose d’important (à savoir, un événement culturel) et de faire partie du petit nombre d’élus qui comprennent l’art contemporain. Comme le blablaïsme nous l'enseigne, ce plaisir additionnel est parfois tellement intense qu’il peut lui-même représenter la partie principale, voire la totalité du frisson ressenti par le spectateur ou spectatrice. En d’autres mots, indépendamment de la nature et/ou de la qualité – ou même de l'existence – des objets ou actions artistiques présentés[2], le fait de participer à l’événement culturel peut, par lui-même, suffire à éveiller, dans le spectateur ou spectatrice, un enthousiasme débordant, particulièrement intense si les lieux sont agréables, si on sert à boire et à manger, s’il y a plein de belles filles et/ou beaux garçons habillés à la mode et si le tout est saupoudré de conversations intellectuelles.
b)      De son coté, l’artiste n’a plus nullement besoin de maîtriser aucune technique ou savoir-faire conventionnel ni de suivre des études approfondis dans aucune discipline démodée (dessin, perspective, composition, chimie des pigments, anatomie, esthétique, histoire de l’art, etc.). Il lui suffit d’avoir, à part quelques notions rudimentaires de tout cet ennuyeux fatras, une bonne dose de fantaisie et inspiration, c’est-à-dire, de ladite capacité de donner un frisson aux spectatrices ou spectateurs par le biais d’un objet ou d’une « performance », ou encore par le biais de la parole, à l’instar des artistes blablaïstes[3]. Qui plus est, même quand l’artiste contemporain manque complètement de compétences techniques, pourvu qu’il ou elle ait des moyens financiers adéquats, il/elle peut donner à un autre l’embêtante tâche de réaliser en pratique l’objet d’art, renforçant ainsi l’indépendance des artistes par rapport à la grossière matérialité de l’objet et éliminant un obstacle considérable au libre jeu de leur imagination[4].
c)      Les propriétaires de galeries, directeurs ou directrices de musées, agents artistiques, éditeurs de livres d’art et d’autres entrepreneurs d’art, eux/elles aussi, ne peuvent que se réjouir de l’avènement du frissonisme. À vrai dire (et heureusement pour l’économie), il y en a eu toujours très peu, d’entrepreneurs d’art qui, à l’heure de choisir leurs artistes, ont été atteints par le scrupule ingénu ou – disons le franchement – par la naïveté de subordonner leurs objectifs commerciaux à des critères de sélection prétendument « rigoureux ». Mais, cependant, jusqu'à des époques récentes, beaucoup d’entrepreneurs d’art étaient obligés, pour identifier l’artiste prometteur ou prometteuse, de se soumettre aux principes d’une soi-disant « culture » et d’un soi-disant « bon goût » – sans parler de la patience, du flair et de la chance qu’il fallait, dans certains cas, pour réaliser un bénéfice, compte tenu de cette mauvaise habitude des artistes de ne pas toujours laisser deviner la juste valeur de leur œuvre (et donc de ne pas permettre la rentabilisation optimale de celle-ci) que quelques années et même quelques décennies après leur mort. Maintenant, tout a changé, tout est plus simple, tout est plus rapide ! Aux bienfaits de la société de consommation et du loisir, qui a multiplié le nombre d’artistes ainsi que d’acheteurs d’art, s’ajoutent les avantages indéniables du frissonisme : Fini d’attendre ! Fini de se casser la tête ! Fini de miser sur des valeurs peu sûres ! Fini de sélectionner sur base de critères esthétiques problématiques ! Si des galeristes et directeurs de musée s’accrochent à leurs habitudes et méthodes désuets et se croient tenus à toutes sortes d’égards et ménagements inutiles, nous leur souhaitons bon chance, mais, néanmoins, il faut qu'ils comprennent, eux aussi, qu’aujourd’hui, pour bien exercer leur profession, il suffit de trouver des artistes dont la seule qualification nécessaire est leur capacité de provoquer un frisson. Sachant qu’il va le ressentir, le public, assoiffé de culture, se précipite nombreux au lieu où les œuvres d’art sont exposés ou l’événement culturel se déroule. De cette façon, on vend davantage de produits artistiques, de flutes de champagne et de tapas ; on gagne du temps, on élargit le marché, on réalise des économies d’échelle et tout le monde est content et satisfait, y compris les sponsors, les élus politiques et le manager du tapas bar. Maintenant nous savons que l’artiste n’est plus cet individu relativement rare et difficile à repérer qu’on imaginait auparavant. Maintenant nous savons  qu’il y a des artistes talentueux ou talentueuses partout. Maintenant, dans nos sociétés démocratiques et multiculturelles, sur notre planète abondamment peuplée[5], les entrepreneurs de l’art peuvent toujours compter sur la présence dans leur milieu et, pour ainsi dire, à portée de main, d’un(e) ou plusieurs artistes. C’est assez facile d’en trouver : en fait, le/la premier venu(e) qui s’autoproclame sculpteur, peintre ou « plasticien », pourvu qu’il/elle soit capable de donner un frisson au public, peut immédiatement être reconnu(e) comme un(e) « artiste intéressant(e) », fut-il ou elle un scélérat ou scélérate, un charlatan ou charlatane, un manipulateur ou manipulatrice, un mystificateur ou mystificatrice, un(e) arriviste social(e), un fils ou une fille à papa ou un(e) bon(ne) à rien.
d)      Quant aux professeurs d’art, plus besoin de transmettre, et donc d’acquérir, ces connaissances aussi obsolètes que complexes, dont on parlait plut haut ! Si par-ci par-là quelques-uns s’acharnent encore à inculquer, plus ou moins péniblement, les principes traditionnels du prétendu « métier d’artiste » à leurs élèves, beaucoup – voire une majorité – se sont adaptés à la nouvelle réalité. Plus besoin de rien enseigner, sauf l’art…de donner un frisson ! Et, bien entendu, pour réussir cela, il n’y a rien de mieux que d’être issu soi-même d’une école qui ne vous à appris rien sauf à avoir un bon œil frissoniste, savoir-faire que par la suite vous pourrez transmettre facilement à vos élèves.
e)      Etant donné que, pour dévoiler son plein potentiel, le frissonisme (plus encore que d’autres mouvements artistiques) a besoin d’explications spécialisées d’haut niveau, il a naturellement donné naissance à une véritable nouvelle école de critiques d'art et professeurs d’histoire de l’art qui sont experts en la matière et dont la copieuse production théorique a atteint un merveilleux développement, supérieur à tout ce qu’on avait vu auparavant, surtout en ce qui concerne son volume – il faut le dire – tout à fait prodigieux. S’il est vrai que parfois les explications de ces savants peuvent sembler, à l’homme de la rue, un peu trop longues et entortillées (spécialement quand il s’agit du courant blablaïste), il y a lieu néanmoins de rappeler ici à tout le monde, y compris aux mecontents professionnels et surtout à certains éléments réfractaires qui dernièrement ont même osé parler de « logorrhée » – il faut leur rappeler, on disait, non seulement les remarquables services que les critiques d'art frissonistes ont rendus, rendent et rendront toujours au développement de la culture, mais aussi le fait que, en lâchant la bride à leur langues, ces illustres théoriciens de l’art assurent – au-delà de leurs indéniables apports à la connaissance humaine – la pérennité de leurs propres fonctions au journal ou institution d'enseignement concerné et contribuent ainsi, à leur façon, à diminuer ce fléau des sociétés modernes : le chômage.
f)       Finalement, en raison de sa vocation démocratique, qui remplace les traditionnelles  formations académiques, lourdes et improductives, par la spontanéité et l’imagination, le frissonisme  bénéficie l’économie :
-           en stimulant la consommation et la production ;
-          en améliorant la qualité de vie de la population par le biais du divertissement, le loisir productif, l’oubli des soucis du quotidien, et en  détournant les gens de la tentation des idéologies politiques dangereuses obsolètes, telles que le marxisme;
-        en donnant une débouchée aux jeunes à la recherche d’une vocation et réduisant ainsi la fainéantise et ce fléau des sociétés modernes : le chômage[6]
Le frissonisme crée, en définitive, un level playing field ou terrain de jeu nivelé dans lequel tous ceux qui ont de l'imagination et du flair peuvent exprimer leur individualité, tout en contribuant au bien-être social et en combattant ce fléau des sociétés modernes : le chômage.

2.      Nous rejetons résolument, comme qualificatifs du vrai art, des concepts tels que « immortel », « eternel », « impérissable » et ainsi de suite. Il en va de même pour le mot « postérité », entendu comme quelque chose qui aurait un rapport avec le but ou la fonction essentielle de l'art. Non, nous n'hésitons pas à dire que tout artiste qui se propose de créer quelque chose de bien construit, de solide et capable d’éveiller des émotions profondes et donc durables est un arriéré, un vaniteux et, en dernière analyse, un nigaud, étant donné que, d’ici 500.000 ans, toutes les œuvres d’art qui existent aujourd’hui auront disparu. A quoi bon s’accrocher à l’éphémère ? A quoi bon se battre contre le temps, qui engloutit tout ? A quoi bon se cramponner à la matérialité de l’objet d’art traditionnel ? Apprenons la leçon du Buddha ! Essayer de figer dans l’espace et le temps ce qui par sa propre nature est périssable, transitoire et momentané est une démarche vouée à l’échec.
Mais si la tendance inéluctable de la matière à se désintégrer, à évoluer vers une entropie plus grande, c'est-à-dire vers des états d'ordre moins poussé, rend déjà inutile toute démarche qui vise la durabilité, il y a aussi d'autres raisons philosophiques et esthétiques qui invalident ces orgueilleuses et sisyphiques tentatives de lutter contre la marée du temps.
Comme notre illustre collègue anglais, Terry Eagleton, à mis en évidence dans son abondante production critique, (1) une œuvre d’art n’est qu’un « produit culturel » ; (2) chaque formation socioéconomique génère ses propres « produits culturels » ; (3) le concept d’art peut s’appliquer légitimement à toutes sortes de « produits culturels » ; et (4) une chansonnette d’une pop star ou un porte-savon  design en plastique peuvent être qualifiées d’Art, avec l’A majuscule, au même titre que les fugues de Bach ou la cathédrale d’Avignon. Madame est convaincue que cet exécrable film Hollywoodien est de l’art? Eh bien, elle a raison! Monsieur pense que cette fille à demi nue qui chante comme une casserole est une interprète incomparable? Mais oui! Messieurs-Dames pensent que ce type qui vient de tomber sur ses fesses dans une patinoire (et se relève avec un sourire, comme si rien n’était) doit figurer à coté de Noureïev dans le palmarès des artistes? Bien sûr! Et vous, vous opinez que cette espèce d’usine à gaz aménagée en musée d’art est un chef d’œuvre de l’architecture moderne? Vous avez raison!
Comme notre insigne confrère britannique, Terry Eagleton, a aussi démontré, les produits culturels – y compris le soi-disant « art » – ne sont, en dernière analyse, que des artefacts qui expriment l’idéologie d’une certaine formation socioéconomique ou une certaine classe sociale, c’est-à-dire les opinions dominantes, modes de fonctionnement psychologiques et préjugées d’une époque.  Pour le dire de façon encore plus synthétique, l’art n’est que de l’idéologie et peu d'autre.
Il s’ensuit de ces principes énoncés par M. Eagleton, ainsi que par nos propres luminaires à nous, par exemple l'illustre Blablo Verba, que:
a) Aucun produit culturel, y compris le soi-disant « art », n’a le droit d’occuper une place privilégiée parmi les autres produits culturels: si quelques produits culturels (par exemple, les pyramides d’Egypte) sont un peu plus solidement bâtis et un peu moins éphémères que les porte-savons design en plastique, il reste néanmoins que tous – pyramides et porte-savons – partagent le même destin: d’être réduits en poussière; et, ce qui est plus important, la valeur d’un produit culturel ne dépend que de l’appréciation subjective du spectateur et de l’utilité (oserons nous dire « du frisson »?) que celui-ci en dérive;
b) Deuxièmement, à l’instar de tous les autres produits culturels, l’œuvre d'art, en tant que cristallisation d’une idéologie, est vouée à l’oubli et ne peu retenir son intérêt esthétique que pendant quelque temps dans la mesure où elle exprime encore un besoin ou fonction idéologique au sein de la société. Au-delà de cette période plus ou moins longue, l’œuvre d’art ne retient son intérêt (tout au plus) qu’en tant qu’objet d’analyse sociologique, psychologique, historique, etc.
De croire, comme quelques éléments déviants ont affirmé dernièrement, que l’art – loin d’être, fondamentalement, l’expression d’une idéologie – est plutôt le lieu où l’idéologie est révélée, subvertie, surmontée, c’est d’ignorer le but suprême de l’art, à savoir, le frisson. De prétendre, comme un ignorant l’a fait dernièrement, que l’art est « une affirmation des pouvoirs et potentialités de l’être humain en tant que sujet de l’Histoire, non réductible à aucune idéologie ou formation socioéconomique » – tout ça, mes amis, n’est que de la charlatanerie. La preuve (si besoin en était encore) c’est que notre illustre patron, M. Terry Eagleton, ainsi que Blablo Verba, notre professeur d’Histoire de l’Art, qui ont tout les deux, comme on sait, une culture encyclopédique et qui sont capables de faire toutes sortes de digressions et de raconter toutes sortes de petites anecdotes et petits morceaux d’information épatants pour les non-initiés, eux, nos grandes têtes pensantes, nos luminaires, nos références pour tout ce qui concerne l’art, n’ont à aucun moment dit ni écrit un seul mot qui pourrait nous faire supposer que des pareilles pensées soient jamais passées par leurs esprits ni même qu’il existe une pareille problématique. Vous dites que peut-être ils ont entendu parler de tout ça? Si c'est ainsi, leur silence est éloquent. Nous pouvons en conclure qu’ils ont examiné, jugé et rejeté tous ces discours erronés, prétentieux et, qui plus est, obscurs; et nous mêmes, nous avouons, avec un sourire ironique sur les lèvres (et parfois avec la bouche béante d’un âne), que, quand nos entendons ce genre de discours, nous y comprenons très peu ou rien. Nous préférons donc réaffirmer les principes établies par les théoriciens du frissonisme, quitte à nous voir qualifiés d’ânes, ou de perroquets décervelés, par des langues malveillantes.
Bien sûr que des « produits culturels » du passé, y compris, par exemple, la cathédrale d’Avignon, une Tour Eifel construite par mon arrière-grand-père avec 30.000 cure-dents, et la Mona Lisa, peuvent donner un frisson aux spectateurs, et ce, pour toutes sortes de raisons, entre autres les suivantes :
1)   On montre à un tel la cathédrale d’Avignon et on lui dit: Monsieur, cela c’est la cathédrale d’Avignon, vous voyez comme elle est grande et, en plus, elle a été habitée par sept papes normaux et deux papes schismatiques à l'époque quand  les papes se faisaient la guerre. Ebloui par la masse imposante de la cathédrale et la pensée de tous ces papes guerriers, ledit monsieur ressent un frisson.
2)   On montre à madame la Tour Eiffel de mon aïeul et on lui dit: Peu après avoir fini la tour, il est mort d’une crise cardiaque. Elle ressent un frisson, en pensant à cette crise cardiaque et aussi à la difficulté de cette démarche artistique.[7]
3)   Un touriste regarde la Mona Lisa et il se dit: ça, mon vieux, c’est le tableau le plus fameux de la Terre! Il n’y comprend strictement rien, mais Lisa, somme toute, n'est pas mal et c’est bel et bien le tableau plus fameux de la planète. Il ressent un frisson.[8]
4)   Et voilà un autre qui contemple un tableau de Rembrandt. Ça ne lui plait pas. Il le dit, franchement: ça ne me plait pas. En effet, il est tout fier du fait que lui, avec sa vaste culture et son goût certain pour les belles choses, n’aime pas Rembrandt; et, peut-être, il est plus fier encore du fait qu’il ose le dire sans gêne, en affirmant ainsi sa personnalité et sa perspective individuelle à lui. Vous comprenez? LUI, il n’aime pas Rembrandt. La courageuse affirmation de ses opinions lui donne un frisson.
5)   Quant à ce groupe de dames, elles viennent d'apprécier 40 tableaux de vieux maîtres. C’est très réaliste (on dirait que les fruits et ce poisson mort sont vrais!), et ce n'est pas tout le monde qui sait faire ça et, en plus, après leur dixième expo en trois jours, mesdames sont convaincues de faire partie d’une élite cultivée, et ce sentiment se mêle avec une agréable lassitude, qui serait encore plus agréable si elles n’avaient pas mal aux pieds. En tout cas, elles aussi ressentent un frisson.
Bref, il y a beaucoup de raisons pour lesquelles des produits culturels d’autres époques peuvent donner un frisson au spectateur. Mais si nous, les frissonistes, rejoignons volontiers ce constat, nous sommes néanmoins conscients du fait que toutes ces œuvres – cathédrale d’Avignon et Mona Lisa comprises – seront, tôt ou tard, réduites en poussière; et, ce qui est plus important, nous ne nous considérons pas tenus à suivre les mêmes démarches que les artistes d’antan ni à employer aucune de leurs méthodes désuètes. étant donné que le but suprême de l’art est de donner un frisson au spectateur ou spectatrice, il suffit de mobiliser les moyens pour atteindre ce but, sans aller plus loin.


[1] Cette réunion s’est tenue, initialement, avec la participation de plusieurs représentants du pseudo-impressionnisme, du kitsch et des naïfs par défaut, mais, au regard de leur démarche rétrograde et leur mauvais goût, ils ont été expulsés avant la fin de la première séance. Voir, en annexe, le procès-verbal de ladite réunion.
[2] Voir, dans la suite de ce manifeste, les principes du minimalisme.
[3] Comme nous avons déjà suggéré, l’artiste peut, au besoin, se passer complètement d’exposer un objet qui ressemble à quelque chose. Sa grande gueule est souvent plus que suffisante pour compenser tous les petits défauts ou faiblesses de l’objet en tant que tel.
[4] Il va de soi que la manipulation concrète, physique, des matériaux artistiques, avec le but de mettre en œuvre « l'idée de départ » de l'artiste, peut comporter un processus de transformation (voire remplacement) de cette idée et même d'exploration de l'inconnu, surtout quand on manque de la capacité technique pour mettre en œuvre ses idées. Ainsi, il intervient parfois, dans le processus de création, ce qu'on peut appeler un « heureux hasard » par lequel on obtient des résultats inattendus mais esthétiquement très valides, c'est-à-dire, susceptibles de donner un frisson. Dans le processus matériel, concret, de réalisation de l'œuvre d'art, cet élément de dynamisme explorateur est plus prononcé quand l'idée de départ est très vague et, à plus forte raison, quand on manque d'idées tout court. En fait, l'idée de départ peut consister tout simplement à appliquer une certaine procédure, à réaliser une certaine démarche; elle peut se réduire au choix d'un modus operandi, comme dans le cas de la démarche de nos illustres ancêtres dadaïstes. On pourrait penser, non sans une certaine vraisemblance, que l'artiste qui confie à un tiers la réalisation matérielle de son œuvre se prive, dans une certaine mesure, de cet élément de dynamisme ou d'exploration, étant donné que, dans ce cas, il n'est pas le protagoniste direct du processus créatif; il ne libère pas de manière plus ou moins inconsciente, plus ou moins continue ou soutenue, son énergie corporelle, vitale, spirituelle, comme, par exemple, quelqu'un qui effectue une danse. Mais l'artiste frissoniste averti peut prendre des mesures pour surmonter ces possibles inconvénients. Par exemple, au moyen de cet outil d'une flexibilité et versatilité inégalables – la pâte à modeler – il peut créer une petite version de l'œuvre et confier à un tiers sa réalisation à plus grande échelle; il peut aussi, dans d'autres cas, donner des instructions très vagues au réalisateur de l'œuvre, laissant ainsi une marge au hasard créatif. Il peut, au contraire, suivre de près les différentes phases de réalisation de l'œuvre et introduire des modifications dans celle-ci au gré de ses inspirations momentanées. L'équipe technique mise à sa disposition, les ressources matérielles et financières mobilisées par son papa ou grâce aux apports des contribuables, deviennent ainsi ses moyens d'expression, ses pinceaux, sa palette, son marbre, ces burins, son instrument de musique! L'artiste plasticien émule ainsi le chef d'orchestre ou le cinéaste qui coordonnent l'effort collectif d'une équipe de talents individuels pour générer une synergie magique de volontés, exprimer une vision géniale. Mais tout cela, finalement, n'a que peu d'importance. Dans le nouveau paysage artistique ouvert par le frissonisme, le degré d'implication réelle de l'artiste dans le processus créatif, sa connaissance des moyens d'expression, et donc sa capacité d'exploration du potentiel de ceux-ci, n'ont qu'une valeur très relative. L'artiste frissoniste ne perd jamais de vue son but esthétique: le frisson! Et, pour atteindre ce but, tous les moyens, y compris la délégation des taches techniques (et, le cas échéant, du processus créatif tout entier), sont bons.
[5] Quelques observateurs affirment, dernièrement, que cet heureux état de choses (c’est-à-dire, une croissance exponentielle de la population), si bénéficial pour l’économie dans la mesure qu’il apporte une réserve de main d’œuvre peu couteuse et des marchés (y compris le marché de l’art) toujours grandissants, pourrait avoir fin un jour, quand le pays pauvres atteindront un certain niveau de bienêtre, lequel, en général, est censé amener les gens à avoir moins d’enfants. De leur coté, quelques pessimistes néomalthusiens n'hésitent pas a parler du risque de « surpopulation » et même d’épuisement à courte terme des ressources de la planète. Heureusement, tout indique que nous sommes bien loin de ces hypothétiques situations. Non seulement, grâce à quelques petites dysfonctions persistantes de l’économie mondiale, la misère, les famines, les catastrophes provoqués par l’Homme, la guerre, continuent à s’abattre tantôt sur l’une, tantôt sur l’autre, tantôt sur toutes les régions « en développent », mais on constate que, même dans la plupart des pays plus riches, la population continue à croître vigoureusement grâce à l’immigration. Cependant, si jamais il s’avérait que le bienêtre généralisé menace de réduire le taux de croissance démographique, nous proposons, d’ores et déjà, de faire en sorte que ce bienêtre n’arrive pas trop tôt, c’est-à-dire de nous arranger pour que le développement atteigne ce seuil de stabilisation de la population juste avant l’épuisement total des ressources et la catastrophe écologique planétaire. De cette façon, on se bénéficiera de touts les avantages qui apporte un maximum de population sans aucun des ses inconvénients. En même temps, nous proposons d’entreprendre au moment opportun, en coopération avec nos amis Américains, un vaste programme spatial, de façon qu’on puisse immédiatement, des que la population humaine arrive à sa limite maximale sur la Terre, se lancer à la conquête d’autres planètes et les peupler au maximum pour le bien de l’économie de marché et de l’humanité tout entière. En ce qui concerne ces néo-malthusiens têtus, faut-il encore une fois leur rappeler que le concept de surpopulation est relatif et que le développement technologique ainsi que l’adoption de nouveaux styles de vie, moins avides d’espace et de ressources, vont tout résoudre ? Voilà, pour ne pas aller plus loin, que Jack Blockhead Jr., petit fils de l’ancien Directeur homonyme du fameux pénitentiaire d’Alcatraz, et son partenaire Kichito Ishita, Directeur de la fameuse chaîne hôtelière tokyoïte Holiday Kramped-Inn, sont en train de conduire des expériences fort innovatrices et futuristes avec, notamment, le développement d’alcôves multifonctionnelles en polyéthylène téréphthalate (PET), excellemment agencées et dotées de tous les conforts virtuels, tube d’arrivé de nourriture et tube d’évacuation de déchets modèle luxe. Pour plus de renseignements, naviguez sur Kramped-inn@Krampedsurvival.jp.
[6] Cependant, il ne faut pas exagérer, en admettant trop de jeunes aux écoles d’art! Pas tout le monde ne peut être artiste. Il est donc opportun de continuer à assigner des budgets limités aux écoles d’art et diriger la plupart des jeunes vers des secteurs essentiels au bon fonctionnement de nos sociétés libres et démocratiques, comme, par exemple, la production de somnifères, calmants et antidépresseurs, l’activité boursière, l’industrie de la défense, l’industrie du sexe, la publicité, l’exploitation des dérivés du pavot...
[7] Voir, plus bas, le difficultisme.
[8] Cf., plus bas, le provocationisme et l'hyperminimalisme.